FÉVRIER 2002 : Réflexions d'un groupe de frères et sœurs sur les nouvelles relations qui s'établissent après le départ d'un frère ou d'une sœur par suicide.
 
Ce texte repose sur le bilan de trois années des activités de la fratrie endeuillée, par la perte d’un frère ou d’une sœur quelque soient la cause du départ, qui se sont développées au sein de l’association Jonathan Pierres Vivantes. Cette dernière, qui rejoint les parents ayant perdu un enfant, invite également les frères et sœurs restants à s’exprimer, mais pour beaucoup d’entre nous, il est difficile d’échanger avec les parents. C’est ainsi que nous essayons dans le même esprit, de mettre en place des activités "Frères et Sœurs" pour les personnes à partir de 18 ans, indépendamment de celles des parents. Ces activités basées sur une entraide mutuelle se traduisent par des rencontres avec l’aide de professionnels de l’écoute, des correspondances par courrier ou e-mail, d’écoute au téléphone et d’un petit journal trimestriel. Sur l’ensemble des personnes, qui nous contactent, la cause du suicide est malheureusement toujours bien représentée, voir majoritaire, ce qui a permis de rédiger un document sur les réactions exprimées par les personnes touchées par le suicide d’un frère ou d’une sœur. Des réactions ont été aussi recueillies lors de rencontres spécifiques sur le suicide organisées par l’association où parents et enfants restants sont présents. Jonathan fait de la post-vention du suicide Il y aurait beaucoup de choses à dire, il est difficile de résumer et de cerner un deuil tant il est unique, chacun réagissant à sa manière.

Ce document représente la réflexion d'environ une quinzaine de personnes.

Nous avons tenté de trier les idées par thème : les nouvelles relations avec le frère ou la sœur suicidé(e), avec les parents, avec la fratrie restante, les incidences sur son propre projet de vie familial et socio-professionnel.


  • Nouvelles relations avec le frère ou la sœur parti(e).
    • Les frères et sœurs, c’est comme une équipe, qui vient de perdre un de ses membres alors qu’elle marchait pour toute une grande la vie. Elle a le sentiment d’avoir été trahie par ce départ brutal et, a priori, volontaire.
    • Nos questionnements et réactions :
      Pourquoi n’a-t-il ou elle pu confier son mal-être ?
      Pourquoi n’a-t-il ou elle pu envisager notre aide, alors que nous étions assez proches pour certains ?
      Pourquoi n’avons-nous pas été suffisamment présent à sa souffrance ?
      Arrivée d’une énorme colère qu’il ou elle n’avait pas le droit de nous faire ça !
      Recherche intensive de signes, de messages, d’explications au geste suicidaire.
      Envahissement par une culpabilité inévitable, que l’on comprend avec le temps qu’il faut atténuer car elle ne nous fait pas avancer, elle est différente de celle des parents, laissant une place plus importante au mystère car nous, nous avons un avenir à construire, eux, ils se devaient de protéger leur enfant, ils ont plus de choses à regretter et à gérer.
      Impression de perdre une partie de soi avec les souvenirs, la connivence et la complicité partagées entre frères et sœurs.
      Substitution des angoisses (les angoisses du deuil, liées à la brutalité du geste suicidaire, au choc et à la douleur de ne plus voir la personne, font imaginer et vivre les angoisses de celui ou celle qui est parti).

  • Nouvelles relations avec le frère ou la sœur restants.
    • Apparition d’un nouvel ordre dans la fratrie. Devenir l’aîné : être fort face aux plus jeunes.
    • Appréhender le vide entre le ou les aîné(s) et le ou les cadet(s), le ou les aîné(s) peuvent ressentir une culpabilité plus grande que le ou les plus jeune(s).
    • Devenir enfant unique : seul face aux parents (très fréquent à notre époque car les fratrie sont plus petites).
    • Nouvelle solidarité et regard vigilant des uns vis à vis des autres, à l’affût de la moindre baisse de moral. Recomposition de la fratrie endeuillée avec les compagnons de vie avec un soutien plus important de leur part s’ils ont pu connaître la personne décédée.

  • Nouvelles relations avec les parents.
    • Ne pas oser parler de notre souffrance pour ne pas alourdir la leur.
    • Ne pas comprendre leur réaction de vouloir souvent parler de la personne décédée.
    • Chacun a son interprétation personnel du drame et des conséquences, générant des tentions et non-dits, les histoires du passé ressortent par la même, les parents et les enfants tentent de retrouver un nouvel équilibre.
    • Apparaître médiateurs du couple parental souffrant.
    • Ressentir une surprotection de leur part.

  • Nouvelles relations pour son propre projet familial.
    • Rechercher avec soif des relations affectives profondes, acceptant le deuil dont nous sommes porteurs.
    • Construire sa vie avec cette épreuve en toile de fond génère une dualité entre donner la vie et peur de la perdre.
    • Questionnement important sur les conséquences de ce drame et la manière de le présenter à nos propres enfants nés ou à naître.

  • Nouvelles relations socio-professionnelles.
    • Constat douloureux que le deuil des frères et sœurs apparaît moins important que celui des parents dans la société.
    • Le suicide fait découvrir un aspect terrible de la vie humaine, entraînant un manque d’intérêt et une peur de construire des relations ; on perd une certaine insouciance, qui nous fait basculer dans une brutale maturité, très vulnérable (on essaye d’être fort mais un événement peut faire craquer à un moment imprévisible).
    • Difficulté à parler de ce qui nous arrive avec un vrai blocage ou mobilisation pour la levée du tabou du suicide, qui gène l’entourage ou au contraire, certains osent nous parler car ils y ont étaient confrontés directement ou indirectement.
    • La rencontre avec d’autres frères et sœurs endeuillés nous angoisse, mais après coup clarifie notre souffrance, car elle permet de parler profondément de cette épreuve avec simplicité et sans diplomatie.
    • Avec le temps, un besoin de communiquer davantage avec les autres sur le sens de la vie se fait ressentir, nous amenant à prendre cette épreuve comme une nouvelle force de vie.